mercredi 9 mars 2016

Quelques photos

2 dameuses Kassbohrer qui nivellent la piste du raid 



Une partie de la caravane 


La station Concordia, à dôme C 

Les valeureux MT, chevaux de trait du raid 

Une partie des raideurs, de G à D Mirko, JB, Jacky, Tito, Nanard 

De nuit 

Une partie des raideurs, devant CPD, de G à D, Martin, Tito, Alex, JB, Nanard, Jacky, David, Vincenzo 

Dans le pack, sur l'astrolabe 

Des empereurs, le bec au vent 

Couleurs un peu irréelles

Même ambiance, sur le raid 

à DDU 



 Aurore australe, à DDU (ça je n'ai pas vu, contribution d'Alban)



DDU, de nuit 








EPISODE 15 Les matins implacables

C'est tous les jours pareil. Lorsqu'on s'extrait difficilement de sa banette, du fond de la chambre 2 de la caravane vie...il est 6h30. La nuit a été courte. La journée de la veille, comme toutes les autres a été intense. Les raideurs, fourbus, se hissent sur leurs pieds, écarquillent les yeux, se persuadent que, si si, c'est bien l'heure du lever. Ils essaient de s'éclaircir les idées. Retrouver la gestuelle qui va permettre, progressivement, d'effectuer les tâches nécessaires pour être aux commandes du tracteur, prêt, dans une petite heure. Il faut pour cela mobiliser toutes ses forces car l'effort est important. Lorsqu'enfin la porte de la chambre est franchie, à petits pas comptés et incertains, c'est le moment de la rencontre.Le face à face avec le soleil, impérial, qui lui ne s'est même pas couché. Qui de toute sa force, son intensité, semble rire allégrement de nos difficultés, de notre finitude. Lui n'a jamais cessé de briller, il a à peine frôlé l'horizon. Son éclat, violent, incontournable, n'a jamais faibli. Il nous toise de toute sa hauteur cosmique et nous renvoie à notre petitesse. Car chez lui, nulle trace d'une quelconque faiblesse. Haut perché dans le ciel, son scintillement aveugle, son omniprésence écrase, sa force désequilibre. Lorsque ses rayons interceptent notre trajectoire de la chambre à la cuisine, la rencontre est violente. Il nous cueille au moment exact où nous sommes les plus vulnérables. Le tête à tête est inévitable et l'issue invariable. Toute réaction de notre part est vaine : tenter de relever le front et d'examiner l'astre ? Echec immédiat. Feinter l'indifférence ? Impossible, on ne peut l'occulter. Décaler un peu le regard sur le paysage alentour ? Partout sa présence se reflète, son image se multiplie à l'infini , ricochant sur chaque relief neigeux, se mirant dans toutes les plaques verglacées. Nul échappatoire. Pas d'alternative à la gifle stellaire. On a qu'à rentrer les épaules, plisser les yeux, accélérer le pas et poursuivre notre marche d'automate. Le seigneur des lieux marque son territoire un peu plus chaque matin et semble répéter inlassablement une sorte d'avertissement. Dans ce face à face inégal chaque matin renouvelé, il paraît souligner sans ambage notre position d'intrus. Notre présence indûe. Il martèle furieusement, scande à chaque instant. Il accélère notre départ, encourage notre retraite. Ma sa présence implacable peut aussi être la réponse qu'il formule aux hurlements du vent. Il ne veut pas rester en reste.







mercredi 17 février 2016

EPISODE 14 : s ‘échapper des griffes de l’hiver polaire.



Après 7 jours de beau temps, nous permettant parfois d’aligner 130 km journaliers, on nous informe d’une dégradation à venir. Température plus basse, vent s’accélérant. En effet, samedi 13 février, la bise fait son apparition. Elle nous rattrape, vient de notre dos, soulève des paquets de cristaux de neige et de glace. Rapidement, les tracteurs se couvrent d’un linceul blanc fait de congères, de stalactites. Une vraie carapace de glace. Une gangue presque minérale, dure et lisse, polie par le vent. Nos machines ont alors une drôle d’allure. L’imagination a le champ libre pour envisager ce qui est caché sous le manteau nacré : animal des neiges, belzébuth des Philistins, mammouth ressuscité ?
Le vent déplace des quantités de neige incroyables, à grande vitesse. Devant nos chenilles, c’est tout le paysage qu’on voit bouger, défiler. Un flux continu de neige forme un tapis roulant compact, qui file à toute allure. Un peu plus tard, c’est le ciel lui-même qui s’épaissit, blanchit. En quelques heures nous sommes en plein cœur d’une tempête cotonneuse, épaisse, qui calfeutre tout : les fentes des portes des cabines, les trappons, les fenêtres de la caravane. Nos pare brises sont maculés de cristaux formant des dessins d’enfants, des silhouettes, des contours géométriques. Le sas d’entrée de la caravane vie est maintenant la prolongation du monde extérieur. Le défaut d’étanchéité de la lourde porte a offert une brèche à la neige soufflée qui est venue s’accumuler à l’intérieur formant une couche atteignant les genoux.
La luminosité a décru. La nuit est revenue. Le soleil a incurvé sa course et disparaît maintenant complètement derrière l’horizon. Les premiers jours, il a malgré tout instillé suffisamment de lumière pour ne pas croire à la nuit. Mais à présent, jour et nuit se succèdent. Les heures du soir et du matin ont un éclat faiblard et lorsque les nuages sont présents la visibilité chute largement. Les heures de jour fondent très rapidement. Les ombres de l’hiver nous guettent et gagnent du terrain, grignotant la lumière crue de l’été austral.
L’ambiance sonore a changé aussi. C’est un univers de sifflements stridents, de hurlements aigus qui nous entoure. Le souffle puissant des vents catabatiques nous harcèle, fait trembler les vitres des cabines, les murs des caravanes. La nuit, allongés dans nos bannettes, nous sentons la structure du conteneur travailler, bouger, subir les assauts du vent. Les vibrations sont celles d’un bateau dont les membrures ploient dans la tempête.
Durant les heures de conduite dans le white out, on perd ses repères. Le relief se dérobe à nos sens. La fatigue et les longues heures de conduite en solitaire se chargent alors d’animer un peu la route et quelques visions m’apparaissent. Imaginant qu’on pouvait très bien se trouver sur une piste de ski lors d’un jour blanc, je vois sous mes yeux étonnés se dessiner alors la silhouette de mon père, revêtu de sa combi de ski bariolée verte, jaune et violette, faisant des virages serrés à contre sens du convoi et me saluant d’un geste du bras, accompagné d’un grand sourire. Puis c’est ma mère qui apparaît, plus loin sur la droite, assise dans un transat comme à la terrasse d’un resto d’altitude, les skis en éventail, relevant la tête d’un journal pour m’adresser aussi un salut tout aussi tendre et bienveillant.
Le seul point d’ancrage pour la vue est l’arrière du convoi qui nous précède.
Il faut le suivre avec application ou c’est la sortie de route. Notre procession prend alors des airs de fuite en avant. On détale devant l’hiver rageur qui s’installe. Le climat nous signale que nous ne sommes plus les bienvenus. L’hiver a envoyé ses sbires pour nous chasser. Il a mis tout son souffle dans les bourrasques qu’il a lancées sur nous. Le vent a soulevé la neige comme autant d’épine acérées pour nous intimider. Il a fabriqué des voiles blancs épais et froids et nous en a enveloppés. Il a élevé tout autour de nous des murailles blanches, compactes et mouvantes.
On est des jouets du vent et de la glace ; on est des pantins pris dans la nasse.
Les mâchoires de l’antarctique se referment sur nous. Leur étreinte forcit chaque jour.
Le relatif tourisme que nous pouvions avoir le sentiment d’effectuer ces derniers jours s’est évaporé. C’est maintenant le sentiment d’hostilité qui domine. L’aventure a commencé ce dimanche.
Notre seul échappatoire, c’est de suivre le cordon dessiné à l’aller. Quand cela devient impossible, on se laisse guider aveuglément par le GPS et n’avons cas d’autre choix que d’accepter le cap qu’il nous propose pour retrouver cap prud’homme.

EPISODE 13 : découverte de Concordia (suite)



Après ce passage au hangar EPICA, nous voici parti en quête des panneaux kilométriques : ceux ci sont plantés à l’entrée de la base, par les hivernants successifs. Ils ont tous été réalisés artisanalement et indiquent le nom et la distance nous séparant des villes/villages d’origine ou de cœur des planteurs. C’est assez émouvant. Parfois le prénom de l’aimé(e) a remplacé le nom de la localité. Parfois encore ce ne sont que des initiales. On peut aussi voir un panneau « pôle nord », un autre « centre de la terre ». Cette forêt de pancartes en bois est un bon résumé des passages successifs et de l’éclatement géographique des occupants. On retrouve beaucoup de panneaux bretons et alpins. Pour moi cela représente une bonne synthèse de mon moi géographique. Bretons car l’IPEV est basée à Brest, et alpins car de nombreux glaciologues sont venus ici et la plupart des labos de glacio sont basés dans les Alpes. Un peu plus loin, se trouve des silhouettes de dromadaires, en bois, plantés dans la neige. Elles représentent bien sûr symboliquement le raid. La caravane. La traversée du désert blanc. Nous sommes un peu des touaregs des glaces. On pourrait nous installer dans un des épisodes de star wars lorsque l’action se déroule sur la planète en neige et en glace, avec des snowtroopers. La suite de notre promenade nous ramène dans la caravane car j’ai le bout du nez un peu blanchi par les moins 45 ambiant et froid aux pieds. J’avais sous estimé le mordant du froid aujourd’hui. Mieux équipé, je retrouve Karen pour la fin de la visite. Celle-ci nous ramène dans la tour vie car Vincenzo un des raideurs italien, nous a invités à participer à la séance de vidéo conférence avec l’école de ses enfants.
Nous voici donc les spectateurs attendris de la rencontre virtuelle entre les membres italiens des expéditions polaires et une classe d’école élémentaire de Naples. Les petits italiens sont d’abord timides puis franchement excités par cette rencontre inhabituelle. Les échanges sont simples et spontanés. Les questions des écoliers souvent désarçonnantes : pourquoi fait-il froid ? Vous vous ennuyez pas ? où sont les ours polaires ? Et les adultes répondent avec la plus grande application. Chaque intervention est ponctuée d’une farce, d’une œillade comique, d’une mimique. Les italiens sont vraiment rigolos, spontanés, blagueurs, sensibles. Des fous rires fusent aussi bien à Naples qu’à Concordia, et les scientifiques rient parfois aux larmes. La rencontre se poursuit par la démonstration de l’habillement nécessaire pour affronter les conditions extérieures et Vincenzo se retrouve à enfiler l’intégralité des éléments de sa tenue polaire.
Cet instant suspendu est vraiment émouvant et délicieux. Les instants suivant nous transportent à table, humant le plat de pâtes qui paraît délicieux (il l’est).La conversation ce soir tourne autour des origines de l’embauche à l’IPEV pour chacun de nous. Tito par exemple se souvient de l’élément fondateur. Une petite carte postale représentant la base de DDU.Il l’a remarquée alors qu’il était ado ( il y a bien 25 / 30 ans donc), chez son frère. Un ami de ce dernier écrivait en effet de terre adélie. La carte était assez simpliste, consistant je crois en une photo aérienne de la petite station. Un entre las de préfabriqués aux couleurs criardes, entourés de rochers et de glaces. Pourtant cette photo l’aura marqué. Suffisamment pour postuler comme hivernant quelques années plus tard. Il termine son propos en précisant que 25 ans plus tard il ne regrette pas cela, non vraiment pas.
Après le dîner, je retrouve Floris et Mathias, deux des trois médecins de la base. Le premier est le médecin ESA (european spatial agency) hivernant, qui va mener des protocoles de recherche pendant un an : suivi psychologique des hivernants, contrôle de l’évolution des masses musculaires et adipeuses des membres inférieurs (il dispose pour cela d’un scanner miniature), études proprioceptives, suivi des modifications du système immunitaire (cytomètre de flux pour analyser les paramètres des populations lymphocytaires et granulocytaires). Il est hollandais, médecin généraliste, et doit avoir environ 35 ans. Il a fait plusieurs expéditions dans l’Himalaya et en amazonie en tant que médecin. Mathias vient pour guider Floris et lancer avec lui les protocoles. Il ne reste que 3 semaines environ surplace (aussi le trajet A/R est plus long que son séjour !). Il est anesthésiste/réanimateur, doit avoir le même âge que Floris. Ils sont tous le deux sympas, disponibles, enthousiastes. C’est un vrai plaisir de partager la soirée ainsi. Le lendemain, j’iraid’ailleurs avec Mathias faire du cytomètre de flux et autres réjouissances (réflotron, QBC,…).
Le lendemain, c’est avec JB, Karen, et Mirko que nous partons visiter le labo d’astronomie ,le télescope infrarouge, et différents autres systèmes d’observation céleste. En repartant en direction des tours, une motoneige croise notre chemin. Ce sont les glacios : 2 devant et un 3è dans le remorque. Ni une ni deux, nous sautons à l’arrière et nous voici filant sur la glace, tous les 7 en même temps. Un arrêt est fait au niveau des tours. 3 descendent. JB et moi restons avec Laurent et Nicole. Ils nous font visiter le hangar EPICA (JB ne l’avait pas encore vu) puis la carothèque : étonnante galerie creusée plusieurs mètres sous la glace. Des milliers de tronçons de carottes glaciaires sont conservés là. La température y est très stable et propice à la conservation. La moyenne annuelle y est de – 59°C.
C’est maintenant l’heure de la réunion RAID. Retour à la caravane. En effet, demain matin (samedi 6 février), c’est le départ. Le top sera donné à 6h30 du matin. On file se coucher.

6H ce samedi matin. Le petit dèj a été avalé déjà. On empile les couches car dehors on annonce –46°C mais avec le vent il fait –58°C ressenti. Pas question de laisser dépasser trop de morceaux de peau.

Les tracteurs toussotent, claquent. Les fumées d’échappement sont épaisses.  On se livre alors au warmup habituel. Nous voilà en train de tourner autour des 2 caravanes, en peloton de 6 tracteurs. Les puissants moteurs bruissent de tous leurs cylindres. Le sifflement du vent est inhabituellement dérangé par notre présence ce matin. Nous tournons et tournons pendant 30 min par atteindre une température acceptable pour nos engins. On croirait une piste d’auto tamponneuse ou un manège forain. Chacun est juché sur un véhicule impressionnant qui nourrit l’imaginaire. Chacun, en hauteur dans sa cabine, arbore le sourire enfantin de celui, qui fier comme un pape, fonce et pétarade. On vit un instant suspendu où l’univers polaire surréaliste se transforme en jardin d’enfants.

Bon, le timing du raid reprend ses droits, les radio grésillent. Nico annonce les ordres de départ. Il s’agit alors d’atteler, puis de réussir l’impulsion initiale. Car ce matin, nous avons des spectateurs. Quelques hivernants courageux se sont levés pour nous saluer. Et le challenge pour nous est relevé car le froid conjugué au sol verglacé pimente l’exercice.
Après quelques secondes de patinage je sens le convoi s’ébranler. Je me concentre pour bien suivre les traces du tracteur me précédent afin de réussir le virage de sortie du parking. Tout cela devant un petit groupe compact de vestes bleues et rouges agitant les bras.
Les deux convois qui nous suivent réussissent aussi la manœuvre. Ca y est, nous sommes lancés. Pas question de s’arrêter pour un dernier au-revoir. Le prochain arrêt maintenant c’est prud’homme à 1200 km de là.
Nous venons d’écrire les premières minutes de la route retour. Celle-ci s’annonce longue, froide, et sans doute plus laborieuse que l’aller. L’excitation de la découverte a décru forcément un petit peu. Le convoi est bien plus lourd qu’à l’aller puisque nous transportons les déchets de dôme C, mais aussi 3 tracteurs (sur des traîneaux), qui ont servi à un raid scientifique qui s’est terminé à dôme C, et deux nouvelles caravanes (vie et énergie, qui constituaient aussi ce raid scientifique). Notre groupe a changé aussi : Karen et Mirko rentrent à DDU en avion pour pouvoir grimper à temps sur l’astrolabe (R3). David, un mécanicien, nous a rejoint (il était en charge du bon déroulement du raid scientifique).

Dans le prochain épisode, j’essaierai de décrire les changements climatiques qui vont s’opérer ces prochains jours, rendant notre progression plus délicate.

jeudi 11 février 2016

EPISODE 12 : bienvenue au bout du monde.



Passés les instants d’effervescence lors de l’arrivée à DC, le travail reprend ses droits.
Il nous faut en effet, chacun dans son rôle, assurer le déchargement des cargaisons et
préparer déjà le retour. Les conteneurs doivent être vidés puis remplis de nouveau
(déchets, matériel devenu inutile en fin de manip, véhicules à descendre à CPD,…).  De mon
côté, je dois m’occuper des vivres :
remplir les bidons d’eau potable (il y en a 11 de 25 L chacun !) et les transbahuter de la
source ( le RDC de la tour énergie de DC) et le magasin du raid
récupérer les cartons de repas pour le retour et les disposer dans l’ordre, dans les
caisses métalliques installées sur le balcon extérieur de la caravane vie
faire un rapide inventaire des produits courants ( vin, vinaigre, huile, pain, produits
entretien, chocolat en poudre, lait, sel, poivre) et établir une liste de commande pour le
cuisinier de DC afin d’être ravitaillé
aller faire les yeux doux à ce dernier qui sait parfois se montrer généreux pour les gens
du raid (foie gras, saumon, vin et charcuterie italiens, pain frais…)


Tout ça me prend une grosse demi journée. La suite de l’escale sera donc consacrée à la
visite de DC et différents rencontres.
J’imaginais un site assez épuré avec simplement les deux tours posées sur la neige et rien
autour. C’est profondément faux. Même si cela était le projet initial, au fildes années,
différents conteneurs, tentes, bâtiments provisoires puis définitifs ont été installés. Au
pied des tours, une série de préfabriqués accolés les uns aux autres constitue la centrale
(le bâtiment technique regroupant les générateurs, système de distribution et purification
des eaux, station de traitement des eaux usées,…).Au contraire des deux tours, sur vérin
(pour pouvoir régulièrement remonter les tours de qq mm chaque année, afin d’éviter que
les chutes de neige ne les recouvrent progressivement), ce bâtiment, pourtant
indispensable, a été oublié : il n’est pas sur pilotis et ne peut donc pas suivre le
mouvement ascendant, lent et régulier, des deux tours (oubli fâcheux lors de la
conception). Un peu plus loin se trouve la menuiserie, sous une tente chauffée. A 100 m
des tours, il existe 3 camps d’été, chacun étant une grande tente accueillant une 15aine
de lits, chauffée par un poêle à essence.
A proximité de cette zone, temporaire, on trouve la base d’été, un préfabriqué abritant
des machines à laver, une petite cuisine je crois, et quelques commodités pour les
estivants. Non loin de là est établie la zone EPICA. Cet acronyme désigne le projet de
carottage glaciaire mis en place à dôme C.Le site de Concordia a justement été choisi pour
permettre cs travaux de recherche. Ce dôme permet en effet de forer sur des milliers de
mètres de profondeur avant d’atteindre le socle continental. Ainsi, ces longues carottes
de glace offrent un aperçu précis de l’évolution du climat sur des milliers d’années. Nous
visitons donc l’atelier EPICA : une zone de travail dans un autre préfabriqué, chauffé, où
peuvent s’installer les scientifiques (bureaux, ordinateurs, coin thé/goûter et même une
mezzanine et deux lits). L’ambiance est très chaleureuse et rappelle celle d’un refuge
alpin. Quelques objets hétéroclites sont accrochés aux poutres ou aux murs, rappelant la
passion pour les glaces et les montagnes reliant les différents glaciologues : ici un
chausson d’escalade, là un vieux piolet, plus loin un poster de massifs montagneux.
Ailleurs encore quelques photos des chercheurs passés par ici. On nous sert un thé
(agréable lorsque dehors, il fait moins 45) et quelques petits gâteaux.
Un peu plus tard, les glacios nous accompagnent jusqu’à la zone du forage (à 15  m de là).
Il s’agit d’un trou, surmonté de deux planches elles mêmes abritées par un bâtiment d’une
20aine de mètres de plus grand axe. Une cabine vitrée jouxte le trou. On nous précise que
lors des forages, celle ci est chauffée et abrite les chefs, qui supervisent la
manœuvre.Sur les murs figurent plusieurs grands posters célébrant le succès des campagnes
antérieurs : un groupe de chercheurs emmitouflés de rouge (italiens) ou bleu (français)
pose en bas de photo, un grand panneau dans les bras rappelant la date et la profondeur
atteinte. Chaque année, un poster. Ici ou là on a affublé les protagonistes de moustaches,
cornes, chapeaux, on a même parfois gribouillé la tête de celui/ceux qui semblent trouver
quelques disgrâce aux yeux du plus grand nombre.

La suite très bientôt
Il est l’heure de remonter à bord des tracteurs

vendredi 5 février 2016

EPISODE 11 : ne vois tu rien venir ?



Mercredi, dernier jour de la traversée aller ; 120 km à effectuer environ avant
dôme C.
L’excitation s’installe, le déjeuner est plus rapide qu’habituellement ; chacun
veut remonter en vitesse sur sa machine pour abattre les km restants et voir
enfin les deux tours de Concordia. Je demande à Jacky à partir de quelle
distance on peut espérer les apercevoir : 20 km ! me répond-il sans hésiter.
L’après-midi de conduite s’écoule, plus lentement qu’à l’ordinaire. En effet,
la route est piégeuse, légèrement déversante. Le cordon est plus étroit qu’à
l’accoutumée. Je tente tout de même de bouquiner. Mais rapidement, je range mon
livre car j’ai failli quitter le chemin par la gauche et risquer de faire
cabaner mes charges. Ca ne serait vraiment pas le moment. C ‘est donc
l’oeilrivé sur la piste, les mains fermement accrochées, que je guide le
tracteur n°9 le long des 60 derniers km de la traversée. On approche bientôt
des 30 derniers. Puis un peu plus tard, on entend la radio grésiller : « tour
américaine » . C’est Jacky, qui conduit le premier véhicule de la colonne, une
dameuse (Kassbohrer). IL a repérer l’antenne la plus haute de dôme C (DC). Mais
de mon côté je ne la vois pas encore ; je suis 2 ou 3 km derrière Jacky et
surtout le tracteur qui me précède me bouche la vue (il traîne un conteneur
imposant). Je ronge donc mon frein en scrutant attentivement l’horizon, sans
oublier de regarder la route. Les :minutes passent, je ne vois toujours rien.
Puis Nico qui me devance, m’interpelle à la radio et guide mon regard…ça y est
! je viens d’apercevoir deux minuscules points noirs, ce sont les deux tours de
Concordia. Il reste 17 km.
Deux coups de griffes dans le ciel, deux traits verticaux, qui viennent
bouleverser ce monde horizontal. La signature des hommes qui ont décidé
d’implanter ici une station polaire. La preuve enfin que l’on suivait bien la
bonne route et qu’elle débouchait sur un lieu habité. Ca semble complètement de
fou de distinguer les contours d’un petit village au milieu de ce néant glacé
que nous parcourons maintenant depuis 11 jours.
Les derniers km semblent bien longs et il nous tarde de rencontrer nos
compatriotes de DC. A 2 km de l’arrivée, un skidoo vient à notre rencontre et
deux silhouettes encapuchonnées nous saluent. Puis à l’entrée de la base une
vraie haie d’honneur nous attend. Chaque tracteur est salué, notre cortège
fumant rentre au ralenti dans l’enceinte de la base. Puis, enfin, s’immobilise.
On sort prestement de nos tracteurs, on pose pied à terre. Les différents
membres de notre groupe se rejoignent. On échange accolade, poignées de main et
embrassades. Ca y est ! nous y sommes ! Dôme C ! Concordia ! La base française
la plus sud au monde.

mardi 2 février 2016

EPISODE 10: un train dans les nuages


Nous voici à quelques encablures de dôme C en ce mardi soir ; plus que 130 km.
Notre convoi a bien progressé ces derniers jours malgré des conditions de plus
en plus hostiles pour les machines (moins 45°C au matin il y a 3 jours, 3220 m
d’altitude ce soir) : samedi, une panne a immobilisé le cortège des tracteurs :
le « 8 », celui qui ouvre la route,  a vu un de ses éléments (le 8 est une
niveleuse) se démanteler : une pièce métallique impliquée dans la jonction
entre la lame et la machine a cédé : aussitôt, l’équipe des mécanos s’active
(hier ils s’étaient déjà démenés pour réparer le groupeélectrogène). On sort
des caisses à outils, on prépare un poste à souder, un étau, on décale des
cuves de gasoil devant l’établi improvisé pour se protéger du vent glacé. En un
instant, toutes les compétences sont réunies : on inspecte, on démonte, on
discute, on envisage. Simultanément, l’autre partie des raideurs s’occupe
d’installer le camp : on rassemble les machines, bien alignées, on les connecte
au générateur pour les maintenir en température toute la nuit, on nivelle la
neige tout autour de la caravane principale pour en faire des zones
praticables, on construit une montagne de neige à proximité du fondoir puis on
le remplit. Ainsi, en quelques minutes, la vie s’organise au milieu de ce rien,
de ce nul part glacé, immaculé, où l’horizon ne finit pas. Avec nos quelques
tracteurs et caravanes on fait surgir la vie pour une poignée d’heures. Pendant
que dehors mes collègues s’activent, font les pleins, vérifient les niveaux,
connectent les câbles électriques,…je file en cuisine car c’est là ma mission à
chaque arrêt : tout préparer pour que le repas puisse commencer sitôt les
travaux d’extérieur terminés. J’ai donc 30 à 45 minutes pour installer le
dîner. Il me faut donc démarrer le four, sortir les plats congelés, faire
chauffer une soupe, aller chercher le pain gardé dehors et le rendre
comestible, m’occupe de l’eau potable, des ordures, ré achalander les stocks en
allant jusqu’à la caravane magasin, mettre la table, préparer l’apéro, et si
j’ai encore le temps cuisiner un dessert.
Il s’agit donc pour tout le monde d’un vrai sprint, dès lors que les moteurs
sont coupés ; chacun vaque à sa mission d’are d’are car les journées de
conduite sont longues et on aspire à se glisser dans nos draps avant minuit. Le
temps s’en trouve ainsi chamboulé : il paraît étiré, dilaté, lorsqu’on roule
11h durant la journée, mais dès qu’on pose pied à terre tout s’accélère. Une
heure semble alors filer en quelques minutes, alors que peu de temps
auparavant, les secondes s’égrainaient doucement, aussi lentement que le rythme
solennel de nos tracteurs (12 km/h au plus fort).
Même si ces heures de conduite paraissent parfois longues, elles restent
pourtant des moments intenses. Perchés dans nos cabines, nous voici bercés par
le ronronnement rassurant de nos moteurs. L’esprit un peu ramolli pour la route
monotone, on est facilement happé par nos rêveries. Le paysage n’offre au
regard aucun point d’accroche particulier. La même image frappe l’œil quelque
soit sa direction. Le blanc de la neige se mêle parfois au ciel clair sans que
l’horizon ne propose de séparation. On s’imagine alors voguer dans les nuages,
planant dans un au-delà sans limite, inhabité. Notre train semble filer dans
ces étendues cotonneuses, lisses, nacrées. Le relief parfois légèrement ondulé
engendre de discrètes déflexions de nos trajectoires, semblables à celles qu’on
emprunterait si on glissait d’un nuage à l’autre. Notre convoi prend alors
l’apparence d’une caravane fantastique, bringuebalant joyeusement ses wagons
colorés (rouges, oranges) au milieu de  ces formations blanches et ventrues.
S’accrochant aux courbes régulières, se hissant sur le relief suivant, avec la
force tranquille d’un vieux train à vapeur des westerns. Les moteurs endurent
vaillamment ces contraintes, sans protester, les chenilles trouvent leurs
chemins toutes seules, calées par des talus neigeux de chaque côté. On ne
touche quasiment pas le volant. On croirait que nos placides montures
connaissent la route par cœur, comme des chameaux dans le désert.
Petit à petit, le temps et les distances se diluent, se brouillent. A-t’on fait
un km ou dix, sommes nous partis depuis 30 minutes ou 2 heures ; parfois il est
vraiment impossible de le dire. Aucun repère sur la route, aucun changement
notable dans le paysage. Nous sommes en train de traverser le plus grand désert
du monde. Et nous y sommes seuls. Aucun chance de croiser une autre caravane,
pas d’oasis, pas de ville étape. On ne peut compter que sur nous pour habiter
ce vide, le temps de notre route. La routine est bien installée, peut être
aussi pour nous maintenir dans un cadre sécurisant. Aussi pour se donner toutes
les chances d’avancer efficacement. Cependant, ce rythme quotidien très marqué
rend chaque jour semblable au précédent et au prochain. Les repères temporels
sont brouillés. Il est très difficile de caractériser une journée . En dehors
d’une éventuelle panne, rien ne la distingue clairement d’une autre. Chaque
réveil annonce la répétition des mêmes moments que ceux qui viennent de
s’écouler. Même petit dèj, mêmes vêtements, mêmes gestes à effectuer pour
démarrer et chauffer le tracteur, même ordre dans le cortège, mêmes consignes
dans les talkie-walkies, mêmes procédures de démarrage, même ronron du moteur,
même paysage, mêmes heures de pauses. Drôle de quotidien. Seul le gps nous
assure qu’il y a bien une progression de jour en jour, que tout cela est
cohérent. La preuve de cette progression est salvatrice. Sinon on pourrait
parfaitement penser que chaque soir on revient au point du matin. En effet à la
fin de chaque journée, on retrouve le même terrain plat qui accueillera notre
cortège pour la nuit.
Si les premiers jours sont ceux de la découverte, de la fascination pour ce
nouveau monde, les suivants dessinent une nouvelle routine. Toute situation,
même exceptionnelle, contient en elle le risque de la monotonie on dirait. Il
convient alors de s’entraîner à garder un certain recul pour continuer à
savourer cet hors du commun.  Se persuader de faire un pas de côté pour
réaliser. Laisser ses rêveries courir sur ces reliefs glacés. Se sentir
infiniment petit au milieu de ces étendues qui défient l’imagination. Voyager
dans le temps pour esquisser ce que devait être ce continent blanc il y a des
millions d’années et ce qu’il pourrait être dans aussi longtemps. S’élever dans
le ciel qui nous entoure et nous voir petites fourmis formant une colonne
insignifiante sur le dos de ce géant de glace. Se rêver cosmonaute au commandes
de son vaisseau découvrant une planète hostile et figée.
Quand on retrouve ses esprits après ces moments de déconnexion, on se demande
si on a  rêvé une minute ou une heure. Le paysage , bien sûr, est toujours le
même. On triche un peu et on regarde l’heure.
L’instant d’après nous voilà à nouveau happé dans d’autres voyages. Parfois
plus introspectif. On se découvre alors, malgré soi, scrutateur de son passé.
On replonge dans certaines périodes de sa vie, au gré des pensées, sans ordre,
sans logique, sans respect chronologique. Le voyage intérieur ne bute sur
aucune limite ici. Pas de limite de temps (ou quasiment, car 5 h continues de
conduite permettent de se laisser aller), aucun bruit (sauf le ronronnement
régulier du moteur), pas d’interlocuteur, pas de soucis immédiat d’emploi du
temps (celui ci est réglé à l’avance comme du papier à musique), pas de RDV,
pas d’appel à passer. Le champ est libre. Pas de panneau publicitaire sur la
route, pas de règles de circulation, pas de trafic en dehors du notre. Pas de
sonnerie, pas de chaînes de radio. Pas de péage, pas d’aire. De la neige, du
ciel, de l’air. Une route droite. Des consignes radio simplement pour démarrer
et s’arrêter. Pas de plein à faire sur la route ( le réservoir contient 900
litres). On apprend donc à mieux connaître son monde intérieur. On constate
parfois qu’on le connaît bien mal. Qu’on l’a délaissé un peu trop. On
l’apprivoise, on l’ordonne, on l’entretient, on y ménage de la place. On
l’échafaude. On essaie de lui redonner un certain agencement, une cohérence.
C’est finalement un jardinage très plaisant et instructif. Certains souvenirs
émergent d’eux-mêmes, plein de couleurs et de détails. D’autres qu’on imaginait
vivaces sont difficiles à convoquer.
On profite de ce luxe de temps et d’insouciance pour accompagner notre parcours
terrestre d’un voyage intérieur inattendu.

Oups je me suis encore laissé entraîner dans quelque rêverie. Il est une heure
du matin et pourtant la lumière est là, incroyablement belle. Car les rayons du
soleil de minuit sont les plus doux que je connaisse. Ils sont rasants,
caressent le sol et révèlent chaque relief ; ils sont doucement dorés, semblent
chauds. C’est fascinant. Je vais me coucher.

jeudi 28 janvier 2016

EPISODE 9 : moins 30 le matin



Le convoi entame ce matin le 6è jour de progression. Les habitudes se mettent en
place ; le rythme et le déroulement des journées a été intégré par les membres
de l’expédition. Lever 6h30 environ, Pdèj jusqu’à 7h15, nettoyage de la cuisine,
passage à la salle de bains et départ 7h30 ; 30 min de préchauffage pour les
moteurs puis on s’attelle aux citernes/conteneurs/caravanes… et le train
s’ébranle à8h00. Pause technique à 10h45, puis arrêt repas à 13h30. Déjeuner 1h
chrono, mise en place et desserte comprises ; on grimpe à nouveau dans nos
machines à 14h30 ; pause technique 17h15 et arrêt du convoi à 20h ; puis une
heure d’installation/station essence/… pendant que je prépare le dîner pour 21h
; sortie de table vers 22h15, débarrassage, mise en place du Pdèj, douches, … et
coucher vers 23h/23h30. Oufffff, fin de la journée.
On vit donc une alternance de période très haletantes où en très peu de temps il
faut se préparer s’alimenter, nettoyer, réparer, entretenir…et de moments très
calmes passés à suivre le tracteur qui nous précède pendant 6h le matin et
autant l’après midi. On a parfois l’impression que les moments de conduites sont
en fait des antichambres entre deux périodes très intenses, pour se reposer un
peu de la précédente et se préparer à la prochaine. Visualiser les actions qui
vont être faites, dans quel ordre, par quelle procédure, avec quel équipement ;
anticiper le repas, les recettes à essayer de concocter, les aliments restants,
les restes à terminer…Car une fois qu’on a sauté du tracteur, tout va très vite
: il fait maintenant assez froid (moins 30), donc pas question de perdre du
temps et de s’exposer inutilement à la sanction glacée pour les oreilles , les
doigts, les orteils ; quand on a fini de conduire, on souhaite soit vite
recommencer à conduire afin de pouvoir arriver le soir dans les temps ou bien
vite passer au dîner pour ensuite se coucher.
Au contraire lorsque l’on est à bord du tracteur, là toute la frénésie
précédente retombe, on retrouve sa cabine à soi, son univers personnel : chacun
grimpe à bord avec son petit casse croûte, sa boisson,  de la musique, des
émissions de radio et durant la conduite, les échanges radio n’ont qu’un but
utilitaire. Chaque pilote semble se plaire à rester dans son petit cocon
délimité par les 4 parois vitrées de sa cabine, pour un temps c’est là son petit
royaume.
Il s’agit en effet d’une place exceptionnelle : juché à 2 m au dessus du sol on
peut contempler à loisir les immensités désertes qui nous entourent. On est
ainsi le passager privilégié d’un compartiment panoramique d’un train unique :
une traversée de l’antarctique à 12 km/h au sein d’un attelage motorisé. La
progression est linéaire, régulière comme serait celle d’une antique locomotive
; le convoi est une succession de motrices et de wagon, reliés entre eux par des
élingues ; derrière les double vitrages parsemés de givres et de glaces, défile
le plus incroyable des paysages : le spectacle unique d’un plateau continu de
presque 5000 km de long, quasiment plat ( c’est en fait un cône en pente très
très douce  avec le somment en son centre culminant vers les 3500 m). Cette
croûte de neige et de glace est parcourue par un réseau de rides, ridules,
dunes, discrètes crevasses. On voit ça et là des congères qui peuvent atteindre
1m50 de haut. C’est un des endroits les plus secs au monde : quasi pas de
précipitations, et l’air est aride, on a le nez et la gorge desséchés, il faut
sans cesse boire. La peau est raide et cartonneuse. C’est donc le désert le plus
impitoyable qui nous entoure : aucune forme de vie, un vent permanent, aucun
point de repère physique ; et qui plus est la boussole ne nous servirait à rien
car elle nous indiquerait le sud dans notre nord ( le pôle sud magnétique s’est
déplacé il y a quelques années et se trouve à présent tout près de DDU).
A bord de nos engins, la rêverie s’invite facilement : tout nous y pousse : le
chauffage maintient une douce torpeur, les bosses et trous de la piste nous
bercent en rythme, le fond musical nous transporte, la fatigue nous fait
légèrement flotter, le ronronnement du moteur nous rassure comme les battements
cardiaques d’un organisme démoniaque qui nous abriterait et nous protègerait.
Aussi, on a parfois l’impression de ne plus être dans le wagon d’un train
étrange, mais sur le dos d’un éléphant endurant et véloce, doux pachyderme
gardien de notre progression. Car  les mouvements de terrain engendrent des
balancements du convoi assez réguliers, lents et contrôlés ; il se dégage une
impression de puissance maîtrisée, de tranquille assurance. On est à 2m au
dessus du sol sur le dos de nos montures. Chaque animal est relié au précédent.
Les élingues deviennent autant de trompes et de queues. Pendant quelques
instants, nous voilà donc cornac.

Ah j’entends qu’on s’agite autour de moi. Je crois que le convoi ne va pas
tarder à partir…

mercredi 27 janvier 2016

EPISODE 8 : La caravane des neiges



Dimanche 13h30 : l’ensemble de l’équipe du raid sort de table après un déjeuner
inaugural terminé par un dessert maison (tarte au citron meringuée) arrosé de
champagne comme il se doit. Voici un bref aperçu de mes compagnons d’aventure :
ceux que vous connaissez déjà : Karen, JB, Tito, Alex ; mais aussi Vincenzo et
Mirko deux militaires italiens prompts à faire des blagues que nul ne comprend
exceptés eux, farceurs et rigolards ; Vincenzo vient de Napoli et Mirko plutôt
du nord de l’Italie : leur italien est très dur à comprendre, ils ne parlent ni
anglais ni français…donc on a recours au mime largement ; Nanard, un ancien de
CPD ; un grand gaillard, élancé, venant de la bresse ; lui aussi est dur à
comprendre tant son accent « pays » est costaud : un mélange d’intonations
stéphanoises et haut savoyardes : ça défrise ; Nico, le chef du raid, LE plus
souriant de tous, un visage plein de malice, des petites lunettes, les cheveux
poivre et sel, une barbe de 3 jours ; il rigole à chacune de ses phrases. Et
Jacky, la 55aine bien tassée, petit bonhomme à l’accent du lot et garonne,
chantant, ancien mécano voiture ; il fait là son 30è raid environ (il a arrêté
de les compter).
L’équipe des 10 raideurs est donc réunie, là, devant là caravane vie, et prend
l’air. Il fait d’ailleurs très doux, sans un souffle de vent ; les icebergs
devant CPD se reflètent sur la mer, miroir lisse et paisible. L’endroit où est
installée le convoi surplombe CPD. Alors que la matinée a été intense, chacun
s’étant affairé à sa tâche pour les derniers préparatifs, le temps semble alors
s’étirer. On savoure une pause inattendue ; en effet, les cartons de congelés ne
sont pas encore arrivés tout à fait ; l’équipe de CPD a un tout petit peu de
retard ; on savoure donc ces quelques minutes dérobées. On apprécie l’inattendu.
Certains s’installent sur des caisses métalliques chauffées par le soleil, se
bricolent un  petit dossier ; d’autres posent devant le tracteur qu’ils auront
pour 3 semaines, les italiens font des photos avec les maillots de foot des
stars de Napoli…On goûte là à une réminiscence d’un dimanche en famille en
France, quand on traîne au café, qu’on profite du calme avant de débarrasser,
qu’on fait durer ce moment encore un peu…allez encore une tasse.
Ah ! ça pétarade au loin, notre pause est terminée. Voici les collègues de CPD
qui déboulent avec  les surgelés et aussi pour nous adresser un dernier au
revoir : on voit arriver le flexmobile rempli de cartons (les repas congelés
pour les 3 semaines), le quad à chenilles zigzague entre les tracteurs, 2 ou 3
challengers (l’ancienne génération de tracteurs). Tous ces engins filent,
slaloment, glissent entre les tas de neige et de glaces et convergent vers nous.
EN quelques instants, le tourbillon reprend : transfert des cartons, accolades,
embrassades, mouchoirs agités, derniers conseils…puis on grimpe dans nos
tracteurs déjà préchauffés et le convoi se prépare à démarrer ; j’occupe le 2è
tracteur du convoi de tête, je dois donc d’abord tendre ma petite élingue qui me
relie à mes charges : 1 réservoir de 12 m3 de gasoil, 2 conteneurs à +4°C, un à
–20, puis le magasin, la caravane vie et la caravane énergie ; je tends mon
élingue (vitesse un et 1000 tours) je préviens Alex qui me précède, il démarre,
je surveille l’élingue qui nous relie, juste avant qu’elle se tende je lance mon
tracteur (vit 3 et 1700 tours) les roues patinent un peu, je sens l’effet de la
traction puissante d’Alex et un instant plus tard, mon tracteur s’ébranle…le
convoi est lancé ; deux autres convois similaires nous suivent et 3 engins de
damage s’occupent d’ouvrir la piste ou de la refaire entre deux convois ; les
premiers mètres défileent, on monte les rapports, synchronisés par radio : la
4…la 5…la 6… jusqu’à la 13 (tout ça en triple à la radio car 3 convois et aussi
en 3 langues : un convoi italien, un français et un mixte qui parle en anglais)
sacré brouhaha sur le canal 14. Sur les bords de la piste, échelonnés sur
plusieurs km, on croise nos collègues de CPD qui se sont postés pour nous
envoyer leurs encouragements…tout en s’enfonçant vers le sud, dans l’immensité
blanche, désertique, on apprécie de voir ses témoignages d’amitié qui jalonnent
le début de notre parcours : on comprend qu’ils nous disent bon courage,
attention à vous, à bientôt, on vous attend…on voit aussi qu’ils regardent d’un
œil expert notre attelage, l’enchaînement des charges, …on sent qu’il veille sur
nous, en vieux briscards polaires…On se sent comme des plongeurs sous marins qui
débutent une longue descente abyssale, partant vers un inconnu hostile et
insondable, et que nos camardes sont les plongeurs de sécurité installés aux
paliers les plus superficiels.
Notre colonne est en marche, on file à 12 km/h.
Les consignes techniques sont données par radio : on vérifie de concert la
température des gaz d’échappement, de l’eau, de l’huile, les tours minutes ; on
paramètre nos gps, on installe nos musiques.
Et puis on regarde autour de nous, quand l’excitation du départ commence à
s’estomper ; autour de nous un désert de glace, immense, infini. La ligne
d’horizon, bien nette, n’est interrompue par rien ; pas un relief, pas un arbre,
pas une construction ; tout est uniforme, plat ; pas une seule forme de vie ne
subsiste ; nous sommes le seul indice à des km à la ronde, que la Terre abrite
la vie.
Parfois les alentours changent légèrement : ici quelques dentelles de glace
sculptées par le vent, là des crénelures,  à côté des reflets bleutés de glace
vive. Le ciel, d’un bleu immaculé fait à l’immensité blanche qui nous entoure ;
du bleu, du blanc, l’horizon entre les deux, et quelques points minuscules qui
serpentent sur la glace, nous. C’est tout. Le vent se charge de créer des
vaguelettes, une vraie houle même tant elles sont rangées, rythmées ; nous
évoluons sur cette mer figée, mais inquiétante. Nous faisons notre route entre
ces petites dunes pour emprunter la ligne de plus petite pente, nous glissons
sur le dos de ces croissants de glace.
Malgré nos efforts constants pour progresser efficacement, rien ne matérialise
notre avancée : aucun repère, aucun panneau. Et l’horizon qui semble toujours
s’échapper. Pourtant on a bien l’impression d’apercevoir là bas, au loin, un
petit col, un épaulement. Mais il se dérobe sans cesse, on ne l’atteint jamais.
Nous sommes des nomades d’un désert lunaire, et notre but semble inaccessible.
Heureusement que les gps nous aident et nous rappellent la réalité de nos
progrès.

D’ailleurs on a quand même bien progressé puisque hier après midi on a effectué
une 60aine de km et aujourd’hui 120.
Ce soir le thermomètre affiche –22 dehors et 7  à l’intérieur (avant qu’on
commence à chauffer).
Demain matin il fera sans doute dans les –25°C.
Nous sommes à 1900 m d’altitude ; la pression atmosphérique a chuté bien plus
vite que notre ascension le laissait auguré et ma montre a sonné toute l’après
midi pour me prévenir de possibles orages (pas un nuage dans le ciel)…On est bel
et bien dans un lieu particulier qui échappe à toute analyse sensée.

samedi 23 janvier 2016

EPISODE 7 : Un tablier bleu marine



C’est toujours drôle la perception du temps.
14 h de vol paraissent interminables ( paris singapour par exemple )
une journée à cap prud’homme à compter des couverts en plastique semble une
semaine
2 semaines à attendre le vrai départ du raid équivalent à 2 mois ou presque, la
même journée se répétant presque à chaque fois
9 h de conduite d’affilée lors du pré acheminement  passent très vite tellement
les nouveautés sont nombreuses, le paysage irréel, les pensées foisonnantes
une journée de veille de départ est quant à elle un sprint.

Ce sprint commence dès le matin : en effet, la nuit a semblé bien courte après
la journée intense de vendredi (pré acheminement) ; aussi le réveil est
difficile, l’arrivée au petit déjeuner un epu tardive ; étant le dernier à
table il m’échoit de la débarasser, c’est toujours plus long que prévu ; et
quand 8h sonnent, c’est le top départ du ménage (ce n’est plus mon tour mais
celui de Laetizia, le médecin italien qui est arrivée il y a une semaine pour
me remplacer à CPD quand nous serons partis) et donc plus quastion d’avoir des
retardataires à la douche ; bon, j’obtiens une dérogation et y file… j’entends
bien qu’on s’affaire déjà à lustrer les lavabos et le couloir alors je ne
m’attarde pas…vite, se rincer, s’habiller ; les cheveux encore humide il me
faut trouver Billoute (le g énial bricoleur de CPD, à la fois informaticien,
électronicien, gérant du magasin de vivres, …) que je dois aider pour
achalander la réserve de nourriture du raid. Ouf, je lerattrape, j’ai à peine
le temps de lui adresser une parole qu’il me passe des bidons d’eau à hisser
sur le flexmobile : on doit amener au moins 90 litres à la caravane vie ; clac
clac on charge tout, on grimpe la côte au-delà de laquelle le raid stationne
depuis son retour ; on attrape au vol Karen ; on installe les bidons dans le
magasin : « bon fais gaffe Martin, faut les saisir comme ça là…oui avec la
sangle…ben oui sinon ils glissent pendant la journée et finissent contre le
radiateur (ah, oui ici le frigo est équipé d’un radiateur…ben oui une
température de +4°C ça se fabrique avec du chaud)…- OK, billoute, j’ai vu…
Ensuite il faut rapidement faire le ménage dans la cuisine-salle à manger de la
caravane vie ; Karen m’y aide. On ouvre tous les tiroirs, placards, on inspecte
les différents petits rangements, vide poches, …On vérifie le contenu, parfois
louche, des bouteilles qui trainent ça et là ; on rassemble le tout sur la
table puis on passe au nettoyage : on récure, on aspire, on frotte,…tout y
passe car c’est bien sale ; puis on ré organise l’ensemble à notre convenance
en essayant d’être le plus rationnel. Allez, faut pas d’endormir, car moi j’ai
aussi le mini hôpital à organiser ; en effet , j’ai pu récupérer ma commande
médicale seulement mercredi…et hier on a conduite toute la journée nos
tracteurs…
J’ai 5 cartons de médicaments, seringues, ampoules, collyres, pansements, fils
à suture, batteries, piles de laryngo, appareil à glycémie, palettes de
défibrillateur, compresses, couvertures de survie, attelles, bandes de
plâtre,…à ranger, trier, colliger.
Oulàlà, mais il est déjà midi moins dix ; il faut absolument filer déjeuner ;
je saute de la flexmobile et arrive à midi pile…ouf ! bon ne perdons pas de
temps car le menu est conséquent : mezze d’entrées (purée d’aubergines, tomates
séchées, salade ; pâtes 4 fromages, gratin d’aubergines, rôti de bœuf, plateau
de fromages, fruits, café…Il est 13h30 quand enfin le dernier verre est essuyé
et rangé, le café de 16h prêt à couler, le balai passé.
Je file dare dare pour terminer l’organisation de l’infirmerie…car à 15h je
retrouve Billoute pour qu’on s’occupe de garnir le magasin du raid.
Bon finalement à 16h il n’est pas encore prêt alors je prends les devants et
m’en occupe : Jlouis me guide : -voilà ce que tu dois monter à la caravane «
magasin » : une caisse de gâteaux, crème de marrons, sucre, farine, 30 litres
de jus de fruit, 60 litres de vin, 25 litres de bière, 20 L de Coca, 3cagettes
de pomme, 2 d’oranges, 1 d’oignons, des échalotes de l’œil, 1 cagette de
citrons, 2 de kiwis, 15 kouglofs, des pots de confitures, 50 yaourts, 20 L de
lait, du beurre, des fromages, 1kg500 de comté , du cognac, du martini, du
grand marnier, du porto, du gin, du picon, des chocolats, de la crème de
marron, du schweppes, …
Bon ça me prendra 2 bonnes heures cette affaire…je passe déposer tous les
cartons vides à l’incinérateur.
Il faut ensuite filer au poste internet récupérer quelques recettes qui me
manquent encore, ne pas oublier mon linge à la buanderie. Puis sans perdre
tropde temps je pense en cuisine voir à nouveaux Jean Louis. EN effet, il doit
me donner les plats pour le dîner de ce soir qui aura lieu dans la
caravane…J’embarque donc une choucroute pour 10 et des flammenküche. Je file
avec mon flexmobile pour organiser le dîner avant le retour des collègues
mécaniciens. C’est mon premier repas en tant que cuisinier du raid, faut pas
que je me loupe : ok ! mettre la table, faire réchauffer les plans, décongeler
le pain, ne pas oublier d’aller chercher des bières et du vin blanc (Jlouis à
insitster là dessus), mettre mon tablier bleu marine, installer les condiments,
les serviettes, préparer le plateau de fromage, faire une corbeille à fruits…
J’ai presque tout réussi…mais j’ai quand même réussi à renverser une bière, et
j’ai omis la moutarde (aïe aïe aïe ). Tout le monde sort de table….pour moi
c’est pas fini : un petit coup de ménage et c’est la table du Pdèj à organiser…
Ouf… je crois que tout  est…Je peux raccrocher mon tablier et me préparer à
roupiller. Un petit tour quand même par l’hôpital…ah ou c’est vrai il faut que
je pense demain à récupérer des piles de rechange pour mon laryngo et du sucre
glace pour faire ma chantilly. Mmmh…bizarre comme phrase me dis-je. Sans doute
le quotidien des cuisiniers-toubibs !
Ah oui aussi , ne pas oublier de mettre à décongeler les viennoiseries pour le
Pdèj car demain c’est dimanche (quand je vous disais qu’ici c’est plein de
rituels) !

vendredi 22 janvier 2016

EPISODE 6 500 chevaux sous le capot

- ok ! maintenant monte à 1500 tours, vitesse neutre, puis forward, 3rd
gear
- relache le clutch (embrayage)

Jeudi 21/1/16, au matin, à quelques mètres de CPD
C'est avec ces mots mélangeant français et anglais, que Nico, le chef du
raid, montre à Karen, une des conductrices (et aussi
la première femme allemande à rejoindre concordia par la piste) comment
piloter un des tracteurs MT865.
Je suis juste à côté, accroché au bord de la cabine, et
j'écoute attentivement, tout en faisant la traduction en anglais (Karen
est germano-australienne).

Ce moment est en fait l'apogée de deux jours d'excitation croissante pour
Karen, qui s'imaginait déjà au volant d'une de ces énormes machines.
Les exclamations fusent donc à coup de "I'm so excited" et de "wunderbar"
et de "Lavacheeu" avec un accent allemand.C'est encore plus cocasse le
soir quand Karen raconte sa journée à Mirko (italo allemand), qui traduit
ensuite à Vincenzo (italien) qui le redit à Laetizia (italienne qui parle
très bien français) qui l'explique en français à JLouis.

Bref nous voici donc tous les 3, juchés sur l'engin, dominant la piste, en
train de faire des ronds dans la neige.
La cabine, double vitrée, offre un beau panorama sur la base en contre
bas,  bordée par l'océan accueillant ce jour un sacré entrelacs
d'icebergs.
Nous sommes attentifs à toutes les explications de Nicolas car demain il
faudra être auotonomes puisque nous effectuerons le pré acheminement de
cuves de fioul à 60 km de CPD. Il faut retenir l'enchaînement des gestes à
effectuer, la place des différents manettes, leviers, pédales. La
signification des boutons qui parsèment çà et là le tableau de bord.
L'ensemble est digne d'un croiseur intergalactique de star wars, les
commandes sont miniaturisées, il y a des petits joysticks, des touches
rétro éclairées, des écrans d'affichage, un gps, une radio, un ordinateur
de bortd, des schémas illustrant l'état des chenilles, la qualité de leur
fonctionnement. Des compteurs numériques indiquent la temperature de
l'eau, de l'huile, de l'échappement. Des commandes pré enregistrées
permettent d'établir immédiatement le régime moteur adéquat. La boite de
vitesses,  séquentielle, possède 13 rapports en marche avant et 3 en
marche arrière.

Bref, une sacrée usine à gaz. En plus de tout ça, sur mon tracteur, une
pelle métaliique a été rajoutée à l'avant afin de niveller la piste si
nécessaire ; j'ai donc une série de commandes en plus.
Incroyable.

Et malgré ses 24 tonnes, la machine réalise des créneaux bien plus
facilement qu'une voiture, ses chenilles lui permettant de pivoter sur
place.
Aujourd'hui ont donc lieu les quasi-derniers préparatifs du raid : celui
ci débutera en effet samedi soir/dimanche matin. Vendredi c'est le pré
acheminement donc une journée complète de pilotage. Samedi on boucle les
derniers sacs, je range ma pharmacie avec l'ultime commande récupérée ce
jour à DDU.
L'organisation du convoi a été finalisée, précisant l'ordre des machines,
leur attelage, leurs conducteurs.

De mon côté j'ai également étudier certaines recettes de cuisine que je
pourrai préparer pendant le raid (en plus ou  à la place de tous les menus
déjà élaborés par les cuisiniers de cpd et ddu qui permettent de couvrir
toutes les journées du raid). J'ai l'espoir de cuisiner une fondue
savoyarde, une mousse au chocolat, une tarte au citron meringuée, une
raclette (pas au cours du même repas je pense). On prépare aussi notre
stock de musique, livres audio, thermos de thé, grignotages, oreillers
pour bien s'installer dans la cabine ; car il faudra meubler les 10 h de
conduite quotidiennes.

Lorsqu'entre deux préparatifs on jette un oeil dehors, on a la chance ces
jours ci de contempler le spectacle de la débâcje qui continue : en effet,
les températures clémentes (4°C ce jour) associées à un vent significatif
(30 nds) on largement entamé le restant de banquise qui reliait DDU à CPD.
Aussi, de grands morceaux de glace sont arrachés et poussés par le vent,
réalisant un immense puzzle, mosaïque de blanc et de bleu nuit, les pièces
blanches étant parfois tachetées de noir lorsqu'une colonie de manchots
adélie y effectue une pause entre deux longueurs de crawl.
Autour de la base, les noombreuses colonies d'adélie voient les poussins
grandir et se verticaliser ; ils sont mainenant robustes, se déplacent
(encore maladroitement), et arrivent à l'épaule de leurs parents ; dans
quelques semaines ils pourront se jetter à l'eau.
Ils sont voraces et cherchent en permanence à glisser leurs becs dans
celui de leur parent pour chaparder quelques nourritures.
De notre côté, on est bien loin d'être aussi affamé car lez repas de
JLouis sont toujours aussi succulents et riches (hier soir : apéritif,
potage maison puis salade puis pommes de terre rissolées et côtes de porc,
plateau de fromages, crèpes grand marnier sucre chantilly, café, digestif
; et c'était un repas plutôt léger).

Je file donc au lit pour digérer le dîne rde ce soir, de la même trempe et
être prêt à enclencher mon clutch demain matin à 8h00.

dimanche 17 janvier 2016

EPISODE 5 : à vos marques, prêts ?...

 

Ces derniers jours, CPD a vu ses effectifs changer, se gonfler...
La petite vie bien réglée de la base s'en trouve gentiment chamboulée. Vendredi matin, un petit avion, Twin Otter, est venu déposé des hivernants de dôme C, prêts à rentrer chez eux via l'Astrolabe, après 13 à 15 mois d'affilée à Concordia, et a, au retour, emmené Laurent (glacio) vers dôme C, première étape de son voyage vers la France. Aussi, nous avons grimpé dans différentes machines pour se rendre à la zone d'atterrissage : JB et moi sommes montés dans un caterpillar challenger, grosse bébête (tracteur) de 450 cv, jaune BTP, montée sur chenilles ; Gillou a pris le flex, une sorte de boite métallique, rouge et blanche, posée sur de longues chenilles, qui peut soit accueillir jusqu'à 8-10 pers, soit transporter des petites charges ; et Tito a chevauché un quad à chenilles pour filer devant nous.

Dans le challenger, j'ai eu droit à mon premier cours de tracteur : cet énorme engin se dirige en fait du bout des doigts, très simplement : un bouton pour démarrer, un petit volant très réactif, une pédale d'embrayage (son usage est facultatif), un levier d’accélération, un autre à 12 vitesses. Pas de frein mais une pédale de décélération (inusitée). Pour s'arrêter, on fait tomber les vitesses jusqu'au point mort. La cabine est haut située, vitrée à 360 ; elle offre ainsi une vue panoramique incroyable. Si bien que la route que nous avons parcourue, que je connaissais pourtant pour l'avoir empruntée à pied, m'a paru nouvelle, le paysage mieux visible, le point de vue différent. Après 10 minutes de montée au dessus de CPD, nous voici sur la piste du Twin Otter, aménagée par JB avec une grosse lame de niveleuse. Après quelques minutes d'attente, animées par une ambiance joviale, voici un petit point dans le ciel. Puis on distingue le vrombissement, discret, des 2 moteurs (2 Pratt & Whitney Canada PT6A-20). Après une prise de terrain en U, l'avion se rapproche de la neige et s'y dépose délicatement ; 200 m environ de freinage seront suffisants...belle manœuvre. Puis, bondissant du cockpit, voici le pilote et le copilote canadiens qui déboulent. Quelques secondes plus tard, la 10aine de passagers sort.

L'avion est immobilisé près de nos véhicules. Les couleurs sont étincelantes. Les différents engins sont alignés sur la glace, leurs silhouettes se détachent nettement du ciel bleu profond. Au loin, derrière, c'est l'océan austral qui scintille, ponctué ça et là d'icebergs de toutes tailles. Les passagers se regroupent tranquillement à l'écart de l'avion pour contempler la vue en silence. Ils n'ont rien vu d'autre, depuis plus d'un an, que le désert blanc et plat entourant la base de Concordia. Ils suivent des yeux les skuas et les pétrels, nombreux sur les côtes...les animaux se rappellent à eux et semblent provoquer une vague de réassurance chaleureuse ; oui, les animaux sont toujours là, leurs comportements n'ont pas changé ; cette nature qui semble immuable paraît les réconforter.

Les mots entre eux, et avec nous sont assez rares et choisis ; leurs regards s'arrêtent longtemps sur le bleu de l'océan ; leur allure est saisissante car ils portent tous la même combinaison bleue (une grosse veste en duvet et une salopette épaisse), la couleur de Concordia : on peut d'ailleurs deviner le temps qu'ils ont passé sur place ainsi que leur rôle sur la base en fonction des nuances de gris/noir surajoutées (très noir pour un mécano, moins pour un électricien, ...).
Pendant ce temps là les canadiens manipulent les bidons de kerozene que l'ont a amenés, y installent le compresseur thermique pour les transférer dans leurs réservoirs. J'en profite pour faire le tour du twin otter : voici sa fiche technique

Constructeur Canada de Havilland
Premier vol 20 mai 1965
Longueur 15,77 m
Envergure 19,8 m
Masse et capacité d'emport
Max. à vide 3,363 t
Max. au décollage 5,67 t
Passagers 20 (série 300)
Fret 900 kg
Vitesse maximale 338 km/h
Autonomie 1 705 km

C'est donc un petit avion, rouge et blanc, qu'on pourrait croire sorti d'un dessin d'enfant. Une ligne simple, claire, évidente ; un nez assez allongé ; un empannage avec une grande dérive verticale. Les servitudes de bord sont réduites au plus simple. En tout cas, il a fière allure ce petit coucou, au milieu de cette immense piste d'atterrissage au blanc immaculé.

C'est alors que l'hélico de DDU déboule. Il emporte les passagers de l'avion vers la base en un clin d’œil. Nous nous retrouvons donc juste avec les 2 pilotes. Tout le monde monte à bord de nos véhicules et nous filons à CPD car ces derniers souhaitent consulter la météo avant leur vol retour.
Voici donc, en quelques minutes, l'activité du hub antarctique de CPD ; étonnant !

La journée se déroulera tranquillement jusqu'au soir, où, après le dîner, nous entendons le bruit d'un tracteur et de ses chenilles : et, oui ! voici 2 membres du raid qui débarquent ! Ils ont en effet terminé leur dernière étape, mais l'heure tardive ne leur a pas permis de dîner avec nous ; aussi, après avoir terminé la maintenance des engins, voilà Biloute et J-Luc qui débarquent, heureux de retrouver le bercail, et impatients aussi de se ravitailler avec du bon vin, car pour des amateurs de vin français, 3 semaines de cubi australien bon marché c'est long !

Le lendemain matin, on verra arriver les 10 autres membres du 1er raid, dont Anaïs, le médecin qui me précède. Ah ! c'est bon de retrouver une collègue ! On passe donc la journée à debriefer, elle, me racontant les péripéties , petites et grandes, médicales ou non, qui ont émaillé leur périple et moi l'écoutant avec de grandes oreilles.

Nous voici donc 21 à dîner samedi soir, l'ambiance est joyeuse ! La grande majorité des mécanos du raid se connaissent très bien et viennent travailler ensemble à CPD depuis 5, 10, 15 ans parfois. Ils sont animés de la même énergie, du même plaisir d'être ici. Une sacrée bande de potes en somme.
Je fais donc, progressivement, la connaissance des uns et des autres. Il règne une ambiance détendue et chaleureuse. On perçoit nettement la sérénité joyeuse qui anime le groupe. On voit aussi que la convivialité est au cœur du fonctionnement de la base. Les moments d'échange sont importants et bien préservés dans l'emploi du temps. Chacun est heureux d'écouter et de raconter ; on prend le temps de se retrouver ou de se rencontrer. La plupart des gars de CPD ont des vies originales : certains ont été militaires puis ont travaillé dans le civil, en france et aussi, souvent, à l'étranger ; certains d'ailleurs vivent en Australie ou en Thaïlande ; La plupart ont d'abord hiverné, à des postes techniques (électricien, chef centrale, mécano, ...) puis en général, Patrice Godon, le grand manitou français de l'Antarctique les a sollicités, voyant leurs compétences, pour un poste à CPD. Cette base fait vraiment figure de petit monde à part, relativement éloigné de l'autorité directe de l'IPEV ou des Taaf, et bénéficié d'une autonomie certaine concernant son fonctionnement, mais aussi son ravitaillement en vivres et boissons (JLouis y veille), souvent de meilleur qualité. Les gars ici, tous de sacrés bricoleurs, peuvent facilement agrémenter le quotidien en fabriquant un barbecue, de supers étagères, une cuisine sur mesure pour JLouis, des petits rangements astucieux, un pan d'escalade, des petits haut parleurs pour avoir de la musique presque dans toutes les pièces. Bref c'est un peu comme si on était sur notre grand bateau, isolé des autres, mais avec toutes les compétences et les outils à bord pour s'aménager un quotidien d'enfer !

Par ailleurs, la date du départ du raid est fixée : ça sera jeudi soir (21/1) pour le prologue (on monte les charges à tracter et les véhicules à 250 mètres au dessus de la base, avec plusieurs allers retours, afin de grimper la côte assez sèche) ; puis grand départ vendredi 22 au matin ; arrivée prévue vers Concordia vers le 1/02 ; deux jours sur place en général donc départ le 3 ou 4/02 et 10 jours de descente soit un retour vers le 13 ou 14/02 environ. On aura donc à peu près 2 semaines pour fermer la base de CPD pour l'hiver et on sautera dans l'astrolabe le 30/2. Sacré programme...

mercredi 13 janvier 2016

EPISODE 4: un pied au pôle sud

Ah ! La terre ferme...
            Après 5 j 1/2 de navigation à bord de l'astrolabe (le 1/2 jour importe !), nous mettons pied à terre sur l'ile du Lion, au pied de la base Dumont d'Urville (DDU), la station scientifique de l'IPEV en Terre Adélie (une des 2 seules bases françaises en antarctique, avec Concordia, franco-italienne).
Les dernières heures de traversée ont été incroyablement belles : sur une mer calme, sans vent, lisse comme un lac, le bateau a franchi une discrète barrière de glaces dérivantes (pack), 5-6 h avant d'atteindre DDU. Il était donc 2 h du matin environ, une partie des passagers étaient encore debout, à la passerelle, pour observer le spectacle. Celui du bateau glissant silencieusement au milieu des petits icebergs, se frayant un chemin tranquillement. Les glaçons tintent sur la coque, rebondissent, les plus grosses plaques de banquise craquèlent avec des bruits plus sourds, se brisent en une multitde de finses ocuches horizontales comme un Viennetta. AU loin, de plus gros icebergs lancent des lumières bleutées, douces, fantastiques. Ces halos sont fascinants et aimantent le regard. On pourrait croire qu'ils marquent là une porte mystérieuse, un passage vers un monde parallèle, peut être un autre espace temps. Ils semblent délimiter un seuil devant chaque montagne de glace. La traversée du pack est très courte (2h environ) et les glaçons sont très modestes (parfois ils forment une banquise épaisse de plusieurs mètres).

            Quelques heures plus tard, c'est l'archipel sur lequel est posé DDU qui apparaît au loin. UN peu après, voilà les manchots adélie qui foncent autour du bateau, décrivant des arabesques sous marines comme de vraies torpilles. Ici un saut au dessus de l'eau glacée, là un escadron groupé. Le spectacle est incessant. C'est un vrai comité d'accueil.  Ils nous escortent jusqu'à la zone d'appontage, qui est fait une simple langue de glace reliée à la terre. Quelques silhouettes, encapuchonnées, agitent les bras et nous saluent. Le bateau fait un petit ramming (allers retours pour creuser une place confortable dans la glace), puis les aussières sont lancées, les martyrs sont installés, le ponton flottant ajusté. ET nous voici en file indienne, chargés de nos bagages, prêts à sauter à terre, enfin ! Les premiers pas sont hésitants, le sol est glacé, pas très nivelé.

            Nous avons à peine le temps de réaliser que nous touchons au but, que les consignes fusent : on nous explique rapidement qu'on va être héliporté jusqu'au séjour (bâtiment abritant les parties communes : réfectoire, bar, bibliothèque, salle de jeux) pour le déjeuner. Celui-ci se situe à un jet de pierre du port mais est implanté sur une autre île et le pont de glace qui les relie est incertain. 15 secondes d'helico suffisent à nous catapulter devant le séjour, puis on s'engouffre dans le réfectoire où le déjeuner de la base est largement commencé. Je croise alors plusieurs visages familiers : le cuistot de DDU, un réunionnais que j'ai vu plusieurs fois dans les australes, un VAT (Volontaire Au service Technique, enfin on devrait dire VSC maintenant, Volontaire au Service Civile) ornitho, rencontré à Crozet, Céline une ornithologue vue à Kerguelen,... et j'ai alors l'impression réellement (et seulement à ce moment là) de vraiment retrouver un petit monde familier, celui des Taaf. J'ai le droit à un début de visite de la base, après le déjeuner, avec Olivier, le chef de district, quand sa radio grésille : "t'es avec Martin, le nouveau toubib du raid ?" car un nouvel hélico était déjà prêt à nous arracher de la douce agitation de DDU pour nous acheminer à Cap Prud'homme (CPD), Michel (un glaciologue) et moi. Ni une ni deux, nous voici à nouveau dans les airs, survolant la base puis la banquise, puis l'océan austral, pour franchir une grande baie, maintenant en eau libre, qui sépare DDU de CPD. Les 5 km sont vite avalés, et je découvre ma nouvelle maison pour 1 mois 1/2 ainsi que mes nouveaux collègues.

           CPD est une mini base, autonome, ouverte seulement l'été. Elle a pour unique vocation la préparation du raid : et tous ses corollaires : stockage de vivres à acheminer à Concordia, de gasoil (pour Concordia et les tracteurs du raid), stockage des tracteurs, matériel pour leur maintenance, garages pour fabriquer et entretenir les traineaux... Elle abrite en moyenne une 10aine de personnes. Les voici dans le désordre : Tito (christophe) le chef (maire) de CPD, un mécano toujours souriant, au visage plus bronzé que celui d'un mono de ski, l'oeil toujours malicieux et enthousiaste ; Alex, chef technique du garage, qui vit en Alsace, à la mine joviale et débonnaire ; Jean Louis, un des personnages de CPD, sans doute le doyen, cuistot dans les Taaf depuis au moins 30 ans, qui a hiverné plusieurs fois à Concordia, DDU, Kerguelen... et vit dans le Jura ; JB le benjamin du groupe, chaudronnier soudeur, qui a hiverné à DDU l'an dernier, stéphanois d'origine, ingénieux, bricoleur et toujours rigolard. Les autres pensionnaires réguliers de CPD sont en ce moment sur le raid N°1 (retour à CPD dans 2 j environ). Il y a aussi 3 glacios déja présents depuis le début de l'été austral : Vincent F, un haut alpin trapu et blagueur, Vincent J, un toulousain, moniteur d'escalade chauve et potache et Laurent un grenoblois au visage émacié témoignant d'une condition physique exceptionnelle, grimpeur très fort, plus discret mais pas moins observateur. Avec Michel un autre glacio de grenoble (sans doute co doyen avec JL) nous formons une équipe de 9 personnes appelé à grossir (l'équipe hein ! enfin on espère).

           Tito, en bon maire, me fait tout de suite faire la visite : le bâtiment principal accueille les chambres (4x4 pers + celle de JLouis, à part), l'hôpital (très simple, plutôt un camp médical avancé, où le médecin dort), la cuisine, la salle à manger (vue sur mer et banquise), un atelier qui sert aussi de fumoir et salle de projection pour le film du samedi soir, une salle informatique (d'où je vous écris), 2 douches, 2 wc, 2 urinoires, une cambuse, une terrasse (pour faire les bbq quand il fait très beau), la plate forme d'atterrissage de Momo, le skua semi domestique, mascotte de la base (il y a aussi Madame,la copine de Momo et ptit Momo qui est né cette année mais qui ne vient pas encore prendre la béquée devant la base). L'ambiance est très familiale et aussi extrêmement contrastée : dehors et dans l'atelier, il y a partout des machines, des élingues, des tours, des fraiseuses, des postes à souder, des meuleuses thermiques, des tracto pelles, des quads sur chenilles, des fûts d'huile, de graisse, des écrous, boulons, câbles, pièces de rechange, boîtes de vitesse ouvertes en deux, visseuses, perforatrices, compresseurs,...dedans, le royaume de JL, c'est rideaux, pantoufles, mains propres, nappe le dimanche, plateau de fromage, cognac, magret et même foie gras certains jours. La vie quotidienne est réglée comme du papier à musique : PDej 7-8h, ménage 8-9 h, collation 10-10h15, apéro 12-12h15, déjeuner 12h15-13h, goûter 16h-16h15, apéro 19h-19h15, dîner 19h15-20h. La plupart du temps à 13h c'est sieste et à 21h la plupart est déja au plumard. Le dimanche c'est relâche (PDej jusqu'à 10h, nappe, repas (encore) plus sophistiqué. Le samedi soir c'est film : un vidéo projecteur a été installé dans l'atelier, la porte de celui ci étant aux dimensions 16/9è, une chaine hifi a été ajoutée : on se croirait vraiment au ciné en métropole, exceptées les odeurs de tabac froid et d’essence et la température de 10 degrés environ.

           Mon rôle à CPD est ambigu : je suis le médecin de la base mais aussi le commis de JL et la petite Marie (ménage tous les matins). JL règne sur la base en grand père gentil mais autoritaire, et a accumulé quelques décennies de petites habitudes et manies qu'il faut respecter. J'écoute donc attentivement toutes ses explications et essaye d'anticiper ses ordres car c'est vraiment pas évident de redevenir petit commis, homme de ménage ET d'être sous les ordres d'un autre. Mais je le savais depuis bien longtemps et ce rôle était clairement inclus dans le package "médecin du raid". Je m'en accommode au essayant d'apprendre le maximum de choses au plan culinaire, en me fixant des petits défis (mettre la table au plus vite, ne rien oublier), faire le ménage au top du top et vite fait, et aussi j'essaie d’établir le climat le plus amical et constructif possible avec JL : il a un paquet d'anecdotes à raconter, il connaît tout le monde ici, sait toutes les petites histoires : bref c'est une encyclopédie des missions polaires françaises et j'en apprends tous les jours. EN plus, il est quand même super fort en cuisine et je suis sûr que je vais progresser un max.

          Depuis que je suis arrivé (5 jours), j'ai eu l'occasion :
- de faire un footing mémorable avec Michel un matin, pendant une heure, sous un ciel bleu foncé, sans un vent, avec au retour (montée à l'aller, en suivant la piste du raid qui s'élève vers l'inlandsis) une vue incroyable sur la baie, l'océan austral, les icebergs au loin !
- de partir en manip glacio toute une après midi, pour aider 3 glacios à déblayer presque 20 m3 de neige et de glace pour récupérer les appareils d'une station de mesure ensevelie en un hiver.
- de passer une matinée à DDU, guidé par Armelle, le médecin de la base, et d'entendre les récits de son hivernage à Kerguelen il y a quelques années.
- d'assister à la séance de ciné de CPD samedi soir.
- d'envoyer pour la première fois depuis l'antarctique et par des français des images d'échographie (de mon ventre et de mon artère fémorale droite).

          Bon faut pas que je traîne, je dois aller dare dare mettre la table.

          Portez vous bien. Martin

jeudi 7 janvier 2016

EPISODE 3 : iceberg droit devant !


jeudi 7 janvier 11h heure locale à bord de l'astrolabe.
je m'extrais avec délice d'une nuit longue nuit de sommeil (...hummm quel plaisir de sentir ses batteries remontees a bloc), quand je croise Joël dans la coursive
(futur cuisinier de DDU pour un an). Joël est tout sourire, a double titre : 1/ Il a vu son premier iceberg 2/ il a remporté la cagnotte de l'astrolabe.
En effet hier soir au diner, une enveloppe circulait pour parier sur l'heure a laquelle serait vu le premier iceberg, chacun y mettait une participation de son choix
et joël a eu le nez creux à quelques minutes pres ...Mais grand seigneur, il a aussitôt remis le gros lot à l'équipage (classe !)
Quoiqu'il en soit mon sang ne fait qu'un tour, je lui demande s'il est encore visible et fonce alors à la poupe pour immortaliser cet instant : l'iceberg est toujours
là, éclatant de nonchalance. La vague d'étrave de l'Astrolabe ne le fait à peine sursauter, il nous ignore superbement. Celui ci est assez grand, environ 2 fois le
bateau soit 130 mètres environ. Ses flancs sont teintés d'un bleu ciel  plein de nuances et striés de longues griffures. On pourrait croire qu'un monstre marin l'a
lacéré. C'est seulement l'effet combiné du vent et de son vellage (moment ou il s'extrait de la calotte glaciaire de l'antarctique). Son bord supérieur est crênelé,
tantôt de reliefs arrondis, tantôt de pics hérissés. Une drôle d'apparition en somme qui renvoie l'image incongrue d'un voyageur solitaire qui aurait perdu ses
semblables et voguerait sans but et sans fin...c'est presque un peu triste...et dans ma tête résonne alors la chanson de dick annegarn, "bébé éléphant". Cet iceberg
est un peu, dans mon univers personnel, le bébé éléphant d'annegarn, version polaire. On sait que ça va mal finir pour lui ; car même s'il soulève l'admiration de
ceux qui le croisent, il est condamné à errer loin de chez lui jusqu'à sa disparition complète.
Toute la journée, nous verrons d'autres bergs, plus ou moins gros, plus ou moins colorés, passant au large ou près du bateau. Apparitions fantasmagoriques,
silhouettes isolées, faites de bosses et des piquants, reliefs torturés, blocs géants qui semblent inoffensifs mais peuvent d'une seconde à l'autre se retourner et
engendrer alors une méchante vague. Drôle de spectacle. Un peu plus tard dans l'après midi , le souffle d'un banc de baleines attire l'attention en passerelle ; en
effet, par tribord à quelques miles du bateau, des panaches de vapeur d'eau s'élèvent périodiquement, et l'observation aux jumelles permet de repérer le dos arrondi
de plusieurs baleines (difficile de préciser l'espèce). Il y a donc de la vie dans cette eau pourtant à moins 0.9 degrés (l'eau de mer gèle à -2 degrés environ).
Depuis hier soir, la mer s'est calmée, le ciel s'est découvert et depuis ce matin, les conditions de navigation sont très agréables. Il semble que cela soit
classique, à l'approche de l'antarctique. En effet, le continent fait obstacle à la houle au moins la houle du sud.
On apprécie donc grandement ces conditions confortables après avoir été bien secoués ces 2 derniers jours. Aussi, la nuit a été très agréable et certains (moi
compris) ont bénéficié de 13 h de sommeil continu ; quel plaisir !
Les compagnons de voyage commencent également à s'activer en prévision de l'arrivée , demain vers 8-10 h . On lit les documents envoyés ce jour par la base DDU
comprenant le règlement intérieur de la base, diverses consignes, l'organisation des dortoirs...On prépare nos sacs pour être prêts à débarquer ; les passagers que
j'ai inclus dans l'étude médicale sur le mal de mer me rendent leurs questionnaires, les scientifiques paramètrent les différents dispositifs de mesure qu'ils vont
utiliser à terre ; bref, on assiste un peu au reveil après les 5 jours assez calmes de la traversée...tout ça est de bonne augure car mine de rien cela fait
maintenant 9 jours complets que nous sommes sur la route de DDU, 2 jours 1/2 d'avion, 1 jour 1/2 d'escale à hobart et 5 jours de mer...
Le monde civilisé commence à nous sembler bien loin ; je me suis d'ailleurs imaginé, lors d'un moment d'insomnie lorsque la mer était démontée, moi, sur l'astrolabe,
allongé dans ma cabine, puis spontanément j'ai effectué un grand zoom arrière dans ma tête ; j'ai alors vu le bateau rétrécir, ma silhouette aussi, encore plus, puis
le bateau ne devenir plus qu'un minuscule point, seul, au milieu de l'océan austral ; et avant de rencontrer une terre habitée, l'australie, il m'a fallu encore et
encore continuer le zoom arrière ; il n'y a en effet pas un seul bateau à des milliers de km à la ronde ; aucun bateau de plaisance, pas de bateau de croisière, zéro
bateau de pêche...rien, nada, nichts ! étrange impression ; l'impression qu'à partir de maintenant on ne peut plus compter que sur nous mêmes...en même temps, pas la
peine de dramatiser, on est hyper bien équipé, les reserves de carburant à DDU sont optimales, les groupes électrogènes marchent au poil et en cas de problème il y a
un paquet d'ingénieurs/techniciens/bricoleurs géniaux. On a aussi des hôpitaux bien équipés, des tables d'opérations ( et surtout des avions si une évacuation est
nécessaire).
Un autre sentiment qui existe aujourd hui c'est le fait que je ne vais pas recroiser de si tôt la majorité de mes compagnons de voyage : en effet, presque tous vont
aller s'installer à DDU, alors que les gens du raid (karen et moi) allons être pensionnaires de cap prud'homme, une base logistique d'été servant uniquement de point
de départ et d'arrivée pour le raid (ainsi que de stockage durant l'hiver pour les tracteurs du raid). Cette base est située à 4 km de DDU, qui devient une île en
été, accessible alors seulement en hélico.  Seul un glaciologue vient avec nous a cap prud'homme car plusieurs terrains de manip glacio sont à proximité. On se
prépare donc à dire au revoir à presque tous les autres : presque...car  on va retrouver 3 d'entre eux à...concordia dans quelques jours ; en effet, un médecin
allemand, un ingénieur canadien et un technicien italien vont être acheminés en avion depuis DDU vers dome C. Donc on se prépare à se dire demain "See you at
Concordia...!" une phrase qu'on a rarement l'occasion de prononcer en général.
Quant à moi je vous dis "see you soon" lors du prochain épisode que j'aurai le plaisir de vous envoyer depuis l'antarctique !