Ces derniers jours, CPD a vu ses effectifs changer, se gonfler...
La petite vie bien réglée de la base s'en trouve gentiment chamboulée. Vendredi matin, un petit avion, Twin Otter, est venu déposé des hivernants de dôme C, prêts à rentrer chez eux via l'Astrolabe, après 13 à 15 mois d'affilée à Concordia, et a, au retour, emmené Laurent (glacio) vers dôme C, première étape de son voyage vers la France. Aussi, nous avons grimpé dans différentes machines pour se rendre à la zone d'atterrissage : JB et moi sommes montés dans un caterpillar challenger, grosse bébête (tracteur) de 450 cv, jaune BTP, montée sur chenilles ; Gillou a pris le flex, une sorte de boite métallique, rouge et blanche, posée sur de longues chenilles, qui peut soit accueillir jusqu'à 8-10 pers, soit transporter des petites charges ; et Tito a chevauché un quad à chenilles pour filer devant nous.
Dans le challenger, j'ai eu droit à mon premier cours de tracteur : cet énorme engin se dirige en fait du bout des doigts, très simplement : un bouton pour démarrer, un petit volant très réactif, une pédale d'embrayage (son usage est facultatif), un levier d’accélération, un autre à 12 vitesses. Pas de frein mais une pédale de décélération (inusitée). Pour s'arrêter, on fait tomber les vitesses jusqu'au point mort. La cabine est haut située, vitrée à 360 ; elle offre ainsi une vue panoramique incroyable. Si bien que la route que nous avons parcourue, que je connaissais pourtant pour l'avoir empruntée à pied, m'a paru nouvelle, le paysage mieux visible, le point de vue différent. Après 10 minutes de montée au dessus de CPD, nous voici sur la piste du Twin Otter, aménagée par JB avec une grosse lame de niveleuse. Après quelques minutes d'attente, animées par une ambiance joviale, voici un petit point dans le ciel. Puis on distingue le vrombissement, discret, des 2 moteurs (2 Pratt & Whitney Canada PT6A-20). Après une prise de terrain en U, l'avion se rapproche de la neige et s'y dépose délicatement ; 200 m environ de freinage seront suffisants...belle manœuvre. Puis, bondissant du cockpit, voici le pilote et le copilote canadiens qui déboulent. Quelques secondes plus tard, la 10aine de passagers sort.
L'avion est immobilisé près de nos véhicules. Les couleurs sont étincelantes. Les différents engins sont alignés sur la glace, leurs silhouettes se détachent nettement du ciel bleu profond. Au loin, derrière, c'est l'océan austral qui scintille, ponctué ça et là d'icebergs de toutes tailles. Les passagers se regroupent tranquillement à l'écart de l'avion pour contempler la vue en silence. Ils n'ont rien vu d'autre, depuis plus d'un an, que le désert blanc et plat entourant la base de Concordia. Ils suivent des yeux les skuas et les pétrels, nombreux sur les côtes...les animaux se rappellent à eux et semblent provoquer une vague de réassurance chaleureuse ; oui, les animaux sont toujours là, leurs comportements n'ont pas changé ; cette nature qui semble immuable paraît les réconforter.
Les mots entre eux, et avec nous sont assez rares et choisis ; leurs regards s'arrêtent longtemps sur le bleu de l'océan ; leur allure est saisissante car ils portent tous la même combinaison bleue (une grosse veste en duvet et une salopette épaisse), la couleur de Concordia : on peut d'ailleurs deviner le temps qu'ils ont passé sur place ainsi que leur rôle sur la base en fonction des nuances de gris/noir surajoutées (très noir pour un mécano, moins pour un électricien, ...).
Pendant ce temps là les canadiens manipulent les bidons de kerozene que l'ont a amenés, y installent le compresseur thermique pour les transférer dans leurs réservoirs. J'en profite pour faire le tour du twin otter : voici sa fiche technique
Constructeur Canada de Havilland
Premier vol 20 mai 1965
Longueur 15,77 m
Envergure 19,8 m
Masse et capacité d'emport
Max. à vide 3,363 t
Max. au décollage 5,67 t
Passagers 20 (série 300)
Fret 900 kg
Vitesse maximale 338 km/h
Autonomie 1 705 km
C'est donc un petit avion, rouge et blanc, qu'on pourrait croire sorti d'un dessin d'enfant. Une ligne simple, claire, évidente ; un nez assez allongé ; un empannage avec une grande dérive verticale. Les servitudes de bord sont réduites au plus simple. En tout cas, il a fière allure ce petit coucou, au milieu de cette immense piste d'atterrissage au blanc immaculé.
C'est alors que l'hélico de DDU déboule. Il emporte les passagers de l'avion vers la base en un clin d’œil. Nous nous retrouvons donc juste avec les 2 pilotes. Tout le monde monte à bord de nos véhicules et nous filons à CPD car ces derniers souhaitent consulter la météo avant leur vol retour.
Voici donc, en quelques minutes, l'activité du hub antarctique de CPD ; étonnant !
La journée se déroulera tranquillement jusqu'au soir, où, après le dîner, nous entendons le bruit d'un tracteur et de ses chenilles : et, oui ! voici 2 membres du raid qui débarquent ! Ils ont en effet terminé leur dernière étape, mais l'heure tardive ne leur a pas permis de dîner avec nous ; aussi, après avoir terminé la maintenance des engins, voilà Biloute et J-Luc qui débarquent, heureux de retrouver le bercail, et impatients aussi de se ravitailler avec du bon vin, car pour des amateurs de vin français, 3 semaines de cubi australien bon marché c'est long !
Le lendemain matin, on verra arriver les 10 autres membres du 1er raid, dont Anaïs, le médecin qui me précède. Ah ! c'est bon de retrouver une collègue ! On passe donc la journée à debriefer, elle, me racontant les péripéties , petites et grandes, médicales ou non, qui ont émaillé leur périple et moi l'écoutant avec de grandes oreilles.
Nous voici donc 21 à dîner samedi soir, l'ambiance est joyeuse ! La grande majorité des mécanos du raid se connaissent très bien et viennent travailler ensemble à CPD depuis 5, 10, 15 ans parfois. Ils sont animés de la même énergie, du même plaisir d'être ici. Une sacrée bande de potes en somme.
Je fais donc, progressivement, la connaissance des uns et des autres. Il règne une ambiance détendue et chaleureuse. On perçoit nettement la sérénité joyeuse qui anime le groupe. On voit aussi que la convivialité est au cœur du fonctionnement de la base. Les moments d'échange sont importants et bien préservés dans l'emploi du temps. Chacun est heureux d'écouter et de raconter ; on prend le temps de se retrouver ou de se rencontrer. La plupart des gars de CPD ont des vies originales : certains ont été militaires puis ont travaillé dans le civil, en france et aussi, souvent, à l'étranger ; certains d'ailleurs vivent en Australie ou en Thaïlande ; La plupart ont d'abord hiverné, à des postes techniques (électricien, chef centrale, mécano, ...) puis en général, Patrice Godon, le grand manitou français de l'Antarctique les a sollicités, voyant leurs compétences, pour un poste à CPD. Cette base fait vraiment figure de petit monde à part, relativement éloigné de l'autorité directe de l'IPEV ou des Taaf, et bénéficié d'une autonomie certaine concernant son fonctionnement, mais aussi son ravitaillement en vivres et boissons (JLouis y veille), souvent de meilleur qualité. Les gars ici, tous de sacrés bricoleurs, peuvent facilement agrémenter le quotidien en fabriquant un barbecue, de supers étagères, une cuisine sur mesure pour JLouis, des petits rangements astucieux, un pan d'escalade, des petits haut parleurs pour avoir de la musique presque dans toutes les pièces. Bref c'est un peu comme si on était sur notre grand bateau, isolé des autres, mais avec toutes les compétences et les outils à bord pour s'aménager un quotidien d'enfer !
Par ailleurs, la date du départ du raid est fixée : ça sera jeudi soir (21/1) pour le prologue (on monte les charges à tracter et les véhicules à 250 mètres au dessus de la base, avec plusieurs allers retours, afin de grimper la côte assez sèche) ; puis grand départ vendredi 22 au matin ; arrivée prévue vers Concordia vers le 1/02 ; deux jours sur place en général donc départ le 3 ou 4/02 et 10 jours de descente soit un retour vers le 13 ou 14/02 environ. On aura donc à peu près 2 semaines pour fermer la base de CPD pour l'hiver et on sautera dans l'astrolabe le 30/2. Sacré programme...